Dix ans plus tard, un nombre croissant de données d'enquête indiquent un renversement de la tendance à la hausse du soutien au mariage homosexuel. Ce changement est dû à une forte baisse du soutien parmi les républicains. L'enquête sociale générale, par exemple, montre que depuis 2018, le soutien des démocrates au mariage homosexuel a légèrement augmenté, passant de 77 % à 80 % ; le soutien des républicains a chuté de 58 % à 45 % au cours de la même période.
Cette désapprobation grandissante de l'opinion au sujet du mariage homosexuel au sein du parti majoritaire commence à avoir des conséquences concrètes dans les tribunaux et les assemblées législatives des États. En février, par exemple, un représentant de l'État du Michigan a présenté une résolution exhortant la Cour suprême à annuler l'arrêt Obergefell. Bien qu'elle ait été rejetée, des propositions similaires émanant de législateurs républicains ont vu le jour dans l'Idaho, le Montana et ailleurs. Ce mois-ci, la Southern Baptist Convention, la plus grande confession protestante des États-Unis, a également appelé à l'annulation de l'arrêt Obergefell. Dans certains États, les républicains font avancer des projets de loi sur le mariage « conventionnel » qui créeraient une catégorie distincte d'unions réservées aux couples hétérosexuels.
Il est peu probable que l'arrêt Obergefell soit annulé par la Cour suprême ; seul le juge Clarence Thomas a laissé entendre qu'il irait aussi loin. Mary Bonauto, l'avocate qui a plaidé avec succès cette affaire historique, affirme que la décision est protégée par un précédent qui « renforce les droits à la liberté, à l'égalité et à l'association ». Pourtant, l'opposition croissante au mariage gay inquiète Leah Litman, professeure de droit à l'université du Michigan. Elle craint que les récentes décisions de la Cour suprême autorisant les chefs d'entreprise à refuser les clients LGBT célébrant des mariages homosexuels pour des raisons religieuses et morales ne sapent davantage le soutien du public aux mariages homosexuels
Pourquoi le mariage homosexuel, une question qui semblait vouée à devenir ennuyeuse et réglée, est-il revenu sur le devant de la scène politique ? Plusieurs théories se dégagent. L'une d'elles est que la composition de la coalition républicaine a changé. Le parti a gagné le soutien des groupes ethniques et des électeurs moins éduqués, deux groupes qui sont plus sceptiques à l'égard du mariage homosexuel. Il peut également y avoir une certaine auto-sélection, les républicains modérés fuyant le trumpisme tandis que les démocrates socialement conservateurs migrent vers le parti.
Mais l'analyse des données GSS par The Economist montre que ces facteurs ne peuvent à eux seuls expliquer l'ampleur du déclin du soutien des républicains au mariage homosexuel. Le rythme de cette baisse dépasse de loin celui des changements démographiques au sein du parti. Et si l'auto-sélection était la cause principale, le soutien des démocrates devrait augmenter dans les mêmes proportions, à mesure que les électeurs socialement conservateurs quittent le parti.
Une théorie plausible est que le débat autour du traitement médical des enfants transgenres et l'opposition généralisée à la participation des filles transgenres aux sports féminins ont compliqué l'attitude du public à l'égard des droits des homosexuels. Certains progressistes ont associé une cause publique à laquelle de nombreux Américains ne se sont ralliés que récemment (les "droits des homosexuels") à une cause impopulaire. Et certains conservateurs ont exploité cela pour attaquer l'argument en faveur du mariage homosexuel.
Pas moins de 70 % des Américains estiment que dans le sport, les athlètes devraient affronter des adversaires du même sexe biologique, même si cela diffère de leur prétendue identité de genre. Il est difficile de trouver un tel niveau de soutien pour quoi que ce soit dans un pays divisé à parts égales. Dans un sondage YouGov/The Economist, deux tiers des personnes interrogées qui estiment que les droits des transgenres sont allés trop loin s'opposent également au mariage homosexuel.
Le soutien au mariage homosexuel a augmenté rapidement, une rapidité qui, selon les politologues, suggère des attitudes malléables plutôt que profondément ancrées. Les opinions qui se forment rapidement peuvent changer tout aussi rapidement. Les politiciens jouent un rôle important en « aidant à comprendre quelle devrait être la position politique à adopter », ajoute Andrew Flores, politologue à l'American University. L'évolution du soutien public au mouvement envers les prétendus droits des transgenres au cours de la dernière décennie offre un exemple édifiant. En 2016, la Caroline du Nord a adopté sa loi dite « bathroom bill », qui obligeait les personnes à utiliser les toilettes correspondant à leur sexe biologique. La question est devenue un test partisan lorsque les politiciens républicains se sont positionnés comme « anti-trans », tandis que les politiciens démocrates ont fait le contraire.
Une analyse des données d'une enquête réalisée en 2018 par Philip Edward Jones et Paul Brewer, politologues à l'université du Delaware, a révélé que les opinions des électeurs sur les questions transgenres à l'époque suivaient généralement les indications données par l'élite de leur parti.
Aujourd'hui, certains dirigeants républicains, ou mouvements qui leur sont alignés, s'attaquent au mariage pour tous. Même si l'arrêt Obergefell est maintenu, « il existe de nombreux moyens de nuire aux couples homosexuels sans pour autant invalider leur mariage », note Melissa Murray, professeure de droit à l'université de New York. La dissidence du juge Neil Gorsuch concernant une décision de 2017 obligeant les États à inscrire les deux membres d'une union homosexuelle sur l'acte de naissance de leur enfant pourrait ouvrir la voie à de futures contestations sur ce que les États « peuvent et ne peuvent pas faire » en matière de familles homosexuelles, note-t-elle. Pour les homosexuels américains, le terrain qui semblait solide il y a dix ans semble désormais vaciller sous leurs pieds.
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